Chaque année, ils sont des centaines à être abandonnés sans argent et sans nourriture par des armateurs peu scrupuleux. Car le transport maritime est un chaos social, l'expression d'une opacité organisée, entretenue par les pavillons de complaisance.
Rencontre avec ces marins échoués à quai, pour qui le temps s'est arrêté.
L'enquête photographique débute en 2001 à Marseille, puis Sète où le Florenz, cargo panaméen est abandonné avec 22 marins qui devront attendre un an et trois mois avant la vente aux enchères du navire qui permettra de récupérer les salaires impayés.
En 2005 un voyage à Dakar m’amène à bord du Marine One où un équipage abandonné survit depuis deux ans dans des conditions effroyables. Je prends conscience que suivant le port où est abandonné le navire, les chances de s’en sortir sont inégales.
Janvier 2010, départ pour Istanbul où des centaines de navires au destin incertain s’alignent le long des côtes de part et d’autre du détroit du Bosphore. Le ralentissement généralisé de l’économie mondiale a eu un impact immédiat sur le trafic maritime. Au bout de la chaîne, des marins épuisés, en voie de clochardisation, sont abandonnés à leur sort, navigant entre ennui et isolement sur des navires sans âge, tel le Nemesis, vieux cargo, pavillon Sierra Leone, ancré à quelques encablures de la côte.
Septembre 2010, Algeciras, les marins ukrainiens de l’Eastern Planet sont sans salaire et sans nouvelles de l’armateur depuis plusieurs mois, la situation s’enlise, rongée par l'inactivité.
Janvier 2011, retour à Sète, dix ans après les premières images du Florenz. Le Rio Tagus, vieux cargo de 1979 est bloqué dans le port de Sète pour avarie technique. Il n’est plus en état de reprendre la mer et les salaires des marins ghanéens ne sont plus versés depuis longtemps. Le navire n’a aucune valeur marchande, le coût de la réparation est trop élevé. Il ne reste qu’une solution, rapatrier l’équipage. Le cauchemar de tout marin qui a quitté sa famille depuis des mois : rentrer à la maison sans argent.